Énergies et transition énergétique : les enjeux du système actuel expliqués par Damien Ernst

Quels choix énergétiques pour un avenir durable en Belgique ? Mix électrique, trajectoires de transition, production et consommation : les enjeux sont nombreux pour bâtir un système cohérent et résilient. Dans ce deuxième épisode de Changer Demain, Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège et expert en sciences appliquées, décrypte les mécanismes qui façonnent notre paysage énergétique et les décisions stratégiques qui orienteront notre société dans les années à venir.
19 août 2025 par
Énergies et transition énergétique : les enjeux du système actuel expliqués par Damien Ernst
Thomas PARENT

Le podcast

L'entretien complet 

Thomas Parent, Broptimize : 

Pour commencer, pouvez-vous revenir sur votre parcours et nous expliquer comment vous en êtes venu à vous spécialiser dans les systèmes énergétiques ?

Damien Ernst :

J’ai commencé à faire de la recherche dans le domaine des réseaux électriques dès mes 20 ans. À l’époque, j’étais parmi les premiers de ma promotion en ingénierie, ce qui m’a permis d’être repéré par une professeure, grande spécialiste internationale des réseaux électriques, qui m’a rapidement intégré à son équipe de recherche.

Au départ, ce domaine ne m’attirait pas particulièrement : pour moi, les réseaux électriques, c’était simplement des câbles que l’on connecte. Je voulais plutôt faire de la recherche en physique fondamentale. Mais j’ai finalement été happé par ce secteur… et je n’en suis plus sorti.

Depuis près de 30 ans, je travaille dans l’énergie, avec également beaucoup de projets en intelligence artificielle, appliquée notamment à ce secteur. Aujourd’hui, le domaine évolue à une vitesse impressionnante, ce qui le rend encore plus passionnant.

Thomas Parent :

Comment décririez-vous l’état du système énergétique en Belgique et en Europe aujourd’hui, en 2025 ?

Damien Ernst :

Nous sommes clairement en pleine transition. Historiquement, la Belgique reposait sur un mix avec beaucoup de nucléaire pour l’électricité, et des énergies fossiles pour le reste. Aujourd’hui, nous nous dirigeons vers un système dominé par les renouvelables, avec une part décroissante de nucléaire : de 6 gigawatts initialement, nous sommes déjà descendus à 4 GW et atteindrons 2 GW en 2026.

Le changement majeur, c’est que le renouvelable ne s’impose plus seulement pour des raisons idéologiques ou environnementales, mais avant tout pour des raisons économiques. Les coûts du photovoltaïque et de l’éolien se sont effondrés. Parallèlement, de nombreux usages, comme le chauffage avec les pompes à chaleur, s’électrifient, ce qui augmente la consommation et pose des défis importants pour les réseaux électriques.

Thomas Parent :

Vous utilisez le mot “transition”. Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?

Damien Ernst :

En réalité, les transitions énergétiques ne sont pas nouvelles. Avant le XVIIIe siècle, l’énergie reposait surtout sur la biomasse. Au XIXe siècle, le charbon a pris le relais, puis au XXe siècle, le pétrole et, dans une moindre mesure, le nucléaire. Aujourd’hui, nous vivons une transition vers un système dominé par les renouvelables. Je pense que, dans quelques siècles, on retiendra que le XXIe siècle aura été celui du renouvelable.

Thomas Parent :

Concrètement, comment cette transition se matérialise-t-elle sur le terrain ?

Damien Ernst :

D’un côté, on pourrait dire que c’est simple : il suffit d’installer des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, des batteries. Les prix se sont effondrés : aujourd’hui, un panneau de 350 W coûte à peine 35 euros, soit le prix d’un menu pour deux personnes dans un fast-food !

Mais dans la réalité, ce qui est difficile, c’est de faire fonctionner ensemble tous ces composants de manière harmonieuse. Les réseaux électriques doivent absorber cette production variable et relier les sites de production aux consommateurs. C’est un défi d’ingénierie complexe.

Thomas Parent :

Et pour le consommateur, que change cette multiplication de technologies ?

Damien Ernst :

Ce n’est pas tant une multiplication de technologies qu’une diversité de marques et de types de panneaux. La vraie difficulté, c’est la coordination entre production, stockage et consommation. Par exemple, recharger les véhicules électriques quand il y a beaucoup de production renouvelable. Tout doit “danser ensemble”, mais sans chef d’orchestre centralisé, ce qui rend le système plus complexe.

Thomas Parent :

Venons-en au nucléaire. Quelle place doit-il occuper dans notre mix énergétique ?

Damien Ernst :

En Belgique, le nucléaire occupera surtout la place que l’on pourra techniquement lui donner. Après 2026, seules deux centrales resteront actives : Tihange 3 et Doel 4, prolongées jusqu’en 2035. Construire de nouvelles centrales est un processus long, coûteux et incertain, d’autant que la compétitivité du photovoltaïque rend l’investissement dans le nucléaire risqué à long terme.

Thomas Parent :

La Belgique et l’Europe se sont fixées des objectifs climatiques pour 2030 et 2050. Peut-on les atteindre ?

Damien Ernst :

Soyons clairs : pour 2030, c’est foutu. Les objectifs ne seront pas atteints, même si cela reste politiquement difficile à dire. En revanche, à partir de 2040, avec la maturité des chaînes de production de PV, d’éoliennes et de batteries, la décroissance du fossile pourrait s’accélérer naturellement.

Thomas Parent :

Quels leviers peuvent activer les citoyens, entrepreneurs et décideurs politiques ?

Damien Ernst :

Les transitions énergétiques se font toujours dans un certain cadre contractuel, y compris sur le plan social. Dans nos démocraties, il est très difficile de planifier une transition en imposant des contraintes fortes, interdiction de véhicules, obligations strictes… Politiquement, cela ne tient pas : soit un parti porteur de ce discours perd les élections au profit d’un autre au message opposé, soit il finit par assouplir ses positions pour rester au pouvoir.

C’est pourquoi, selon moi, les contraintes environnementales strictes vont progressivement se relâcher.

La bonne nouvelle, c’est que le renouvelable et les clean tech, voitures électriques, lampes LED, batteries, photovoltaïque… s’imposent déjà pour des raisons économiques. Ils deviennent si bon marché qu’ils sont en train de mettre hors course les technologies plus polluantes.

Pour une entreprise, le photovoltaïque est aujourd’hui une évidence : à 0,4 ou 0,5 €/W installé, ne pas en mettre revient à ne pas savoir compter. Dans trois ans, l’investissement le plus pertinent pourrait être le véhicule électrique, la batterie ou la pompe à chaleur.

En résumé, il faut raisonner d’abord en termes économiques : penser en euros intelligents tout en contribuant à la décarbonation. C’est aujourd’hui la meilleure façon d’avancer.

Thomas Parent :

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui veut s’engager dans la transition énergétique ?

Damien Ernst :

Investir dans le photovoltaïque, opter pour des contrats de fourniture modernes permettant de vendre ses excédents, envisager les batteries d’ici deux ou trois ans, préparer la conversion du chauffage vers les pompes à chaleur… et attendre un peu avant de renouveler une flotte automobile, le temps que les prix des véhicules électriques, notamment chinois, baissent encore.

Thomas Parent :

Et si une entreprise ne s’engage pas ?

Damien Ernst :

Elle passera à côté d’opportunités économiques majeures. Aujourd’hui, ne pas installer de PV sur ses toits, par exemple, c’est perdre de l’argent.

Thomas Parent :

Pour conclure, quel message adresseriez-vous à un jeune adulte face aux enjeux climatiques et énergétiques ?

Damien Ernst :

Ne vous fiez pas aux discours simplistes, demandez conseil à des spécialistes. Et surtout, gardez espoir : je suis convaincu qu’entre 2035 et 2040, nous pourrons décarboner massivement sans sacrifier notre confort énergétique. La technologie devient si peu coûteuse qu’elle ouvre des opportunités créatives, y compris pour des petites structures ou des agriculteurs qui utilisent déjà des panneaux solaires… comme clôtures ! 

Il y a plein de trucs à faire. Donc il faut juste être malin, bien comprendre le secteur, bien comprendre que pas mal de coûts sont complètement écrasés dans le secteur et en fonction de là, générer des opportunités.

💬 Retrouvez Damien Ernst sur X et sur son site damienernst.be, ainsi que Broptimize sur LinkedIn pour poursuivre la réflexion et découvrir nos prochains invités.